Saisie par Bouygues Telecom, l'Autorité de la concurrence sanctionne Orange et SFR à hauteur de 183 millions d'euros

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Saisie par Bouygues Telecom, l'Autorité de la concurrence vient de rendre une décision par laquelle elle sanctionne France Telecom, Orange France et SFR à un montant total de 183,1 millions d'euros pour avoir mis en oeuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la téléphonie mobile en commercialisant des offres d'abondance "on net" c'est-à-dire permettant aux abonnés d'appeler en illimité leurs seuls interlocuteurs clients du même réseau.


En commercialisant ces offres, Orange et SFR ont mis en oeuvre des pratiques de différenciation tarifaire excessive entre les appels "on net" (passés sur leur propre réseau) et les appels "off net" (à destination d'un réseau concurrent) et ainsi abusé de la position dominante que chacun d'eux détient sur les marchés de leur terminaison d'appel respective (c'est-à-dire sur la prestation d'interconnexion qu'ils offrent aux autres opérateurs pour "terminer" les appels sur leurs réseaux).

Attractives de prime abord pour les consommateurs, ces offres ont entravé la dynamique du marché en verrouillant les abonnés et en fragilisant Bouygues Telecom, le plus susceptible  d'animer le marché en tant que dernier entrant à l'époque des faits.

Il convient de noter qu'au cours des dernières années, les trois opérateurs Orange, SFR et Bouygues Telecom ont tour à tour dénoncé la mise en oeuvre, par leurs concurrents, de pratiques de différenciation tarifaire entre appels on net et appels off net, qu'ils considéraient unanimement comme abusives. Ces saisines ont ainsi donné lieu à de nombreuses décisions du Conseil, puis de l'Autorité de la concurrence.


Les offres d'appels illimités dénoncées par Bouygues Telecom

A partir de 2005, Orange et SFR, qui détenaient respectivement 47 % et 36 % des parts du marché de la téléphonie mobile "grand public", soit un total de 83 %, ont commercialisé des offres d'abondance on net, c'est-à-dire permettant à leurs clients d'appeler des interlocuteurs abonnés auprès du même opérateur "en illimité", c'est-à-dire pour un prix forfaitaire, indépendant du nombre et de la durée des appels.

Orange a, par exemple, commercialisé les gammes de forfaits Orange Classique, Orange Intense et Orange Pro qui permettaient d'appeler gratuitement trois numéros favoris Orange 24 heures sur 24 sans que les communications soient décomptées du forfait. L'option "3 N° KDO" proposait aussi des appels illimités vers des numéros Orange pour les forfaits n'intégrant pas de composante d'abondance. Chez SFR, ce sont les gammes "SFR Essentiel" et "SFR Evolution Pro" qui proposaient des appels illimités vers 3 numéros SFR. Ces offres ne sont plus commercialisées depuis le 1er trimestre 2008 mais de nombreux abonnés qui n'ont pas changé de forfait depuis y sont encore liés aujourd'hui.

Ces offres étaient devenues le coeur de l'offre postpayée proposée aux particuliers. En effet, les clients qui souhaitaient souscrire ou renouveler leur forfait auprès d'Orange et de SFR n'avaient pas d'autre choix que les offres d'abondance on net entre 2005 et le début de l'année 2008. Elles ont d'ailleurs représenté jusqu'à un tiers du chiffre d'affaires des offres grand public pour SFR et jusqu'à plus de 40 % pour Orange.

Cette différenciation tarifaire ne repose sur aucune justification objective

Toutes ces offres se traduisent par une différenciation tarifaire entre les appels on net et les appels off net, l'avantage de l'abondance étant réservé aux seuls appels on net.

Orange et SFR n'ont pas démontré que la différenciation tarifaire entre les appels "on net" (passés sur leur propre réseau) et "off net" (à destination d'un réseau concurrent) était objectivement justifiée, par exemple par une différence entre les coûts supportés pour fournir les deux types d'appel. Elles n'ont pas non plus démontré qu'elle serait indispensable à la réalisation de gains d'efficience l'emportant sur ses effets anticoncurrentiels, dès lors notamment que les deux opérateurs auraient pu commercialiser des offres d'appels illimités vers tous les opérateurs (offres "cross net"), ne donnant lieu à aucune différenciation entre les deux types d'appels.

Les pratiques reprochées  à Orange et SFR ont eu plusieurs effets négatifs sur le marché de la téléphonie mobile

Ces offres ont amplifié l'effet "tribu" et dégradé la fluidité du marché

Ces offres ont amplifié tout d'abord artificiellement l'effet "tribu", c'est-à-dire la propension des proches à se regrouper auprès d'un même opérateur, en incitant les consommateurs à changer d'opérateur pour rejoindre celui de leurs proches. Ces offres ont joué un rôle très important, ce critère constituant, devant le prix, le principal moteur d'abonnement (70% des consommations d'un abonné sont destinées à ses trois interlocuteurs favoris).

Une fois les tribus constituées, ces offres ont "verrouillé" durablement les consommateurs auprès de leur opérateur 1 en augmentant significativement les coûts de sortie encourus par les abonnés aux offres illimitées on net comme par leurs proches qui souhaitent souscrire une nouvelle offre auprès d'un opérateur concurrent.

La différenciation tarifaire entre appels "on net" et "off net" décourage en effet tout changement d'opérateur puisqu'une telle option a pour conséquence de faire perdre à l'abonné ou à ses proches abonnés au même opérateur la possibilité d'appeler et d'être appelé "en illimité".

Cette différenciation entre appels on net et off net a donc eu pour effet de dégrader la fluidité du marché de détail, en rendant plus difficile la migration des clients vers un autre opérateur en place.

Ces offres ont mécaniquement favorisé les opérateurs de grande taille (effet de réseau) au détriment des petits opérateurs

Les abonnés étant intéressés pour appeler le plus grand nombre d'interlocuteurs sans que ces appels soient décomptés de leurs forfaits, les offres illimités "on net" ont mécaniquement favorisé Orange et SFR qui disposaient du plus grand nombre d'abonnés. De cette façon, en effet, ils maximisaient leur chance de trouver des interlocuteurs abonnés auprès du même opérateur qu'eux et tiraient ainsi davantage parti de l'offre on net.

Compte tenu de la petite taille de son parc d'abonnés, Bouygues Telecom (17 % des abonnés) s'est trouvé dans l'incapacité de s'aligner sur les offres on net d'Orange et SFR.

Bouygues Telecom s'est par conséquent vu contraint de commercialiser des offres d'abondance "cross net" permettant à ses clients d'appeler leurs interlocuteurs "en illimité", quel que soit leur réseau (lancement de l'offre Neo en 2006) mais au prix d'une forte hausse de ses coûts.

En lançant cette offre, Bouygues Telecom a dû supporter des charges de terminaison d'appel beaucoup plus lourdes, ce qui a affaibli sa capacité à animer la concurrence sur le marché. Compte tenu des effets négatifs de ces offres sur son équilibre financier, il existait un risque important que Bouygues Telecom soit évincé du marché.


Des sanctions proportionnées à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation d'Orange et de SFR

Pour déterminer les sanctions, l'Autorité de la concurrence s'est appuyée sur la méthode précisée dans son communiqué du 16 mai 2011, dans le respect du principe de proportionnalité et des critères définis par le code de commerce.

L'Autorité a pris en considération le caractère certain de gravité des faits, s'agissant de pratiques tarifaires abusives tendant à affaiblir, voire à exposer les concurrents de plus petite taille à une éviction du marché de détail de la téléphonie mobile en élevant significativement leurs coûts. Elle a cependant tenu compte de l'importance modérée du dommage causé à l'économie en l'espèce, la société Bouygues Telecom ayant notamment été en mesure de se maintenir sur le marché au moyen de la commercialisation d'offres d'abondance "cross net".

L'Autorité a également pris en compte les éléments propres au comportement et à la situation individuelle de chaque entreprise, notamment le fait que chacune d'elles était ou appartenait à un groupe de dimension mondiale, possédait des activités diversifiées et disposait de ressources très importantes. Le montant de la sanction imposée à France Telecom intègre une majoration de 50 % due à la réitération, en raison de six infractions au droit de la concurrence similaires déjà commises par l'entreprise au cours des quinze dernières années. Par ailleurs, l'Autorité a retenu, à l'égard des deux opérateurs, l'existence d'une circonstance atténuante : la progressivité de la baisse des plafonds de tarifs de terminaison d'appel imposés par la régulation sectorielle a créé en effet un intérêt économique transitoire des opérateurs à inciter leurs clients à passer des appels "on net". A ce titre, l'Autorité a diminué le montant des sanctions imposées aux deux entreprises de 50 %.

L'Autorité a en conséquence infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

117.419.000 euros à Orange France et France Telecom, se répartissant comme suit : 78 279 000 euros infligés conjointement et solidairement aux sociétés Orange France et France Telecom, et 39.140.000 euros infligés à la société France Telecom ;
65.708.000 millions d'euros à SFR.

Les deux opérateurs ont déjà annoncé leur volonté de faire appel de cette décision. D'après 01net, Bouygues Telecom a de son côté indiqué qu'il allait demander réparation du préjudice subi suite de la décision de l'Autorité de la concurrence.

1 : Le taux de résiliation très faible des abonnés à des offres on net est un indicateur de cet effet de verrouillage. Le taux de résiliation des clients aux offres Classique 2h d'Orange, qui utilisent effectivement la composante d'appels illimités on net, est par exemple seize fois inférieur à celui de l'ensemble des clients d'Orange.

Source : Autorité de la Concurrence.